Savez-vous comment une entreprise choisit sur quels médicaments travailler ? Indice : ce n’est pas toujours lié à des recherches internes.
Savez-vous qu’il existe un gigantesque marché de l’occasion pour les candidats médicaments ? (On parle de 20 500 participants réalisant 57 000 rendez-vous lors d’une convention de 3 jours !)
Cet article présente quelques exemples de stratégies possibles pour choisir sur quels médicaments travailler et le rôle du « business development » pour accéder à des technologies ou des médicaments développer par d’autres entreprises ou universités.
Remarque : cet article est le cinquième d’une série sur les grandes étapes du développement d’un médicament dans une biotech. Si vous ne les avez pas déjà lu, vous devriez peut-être commencer par l’article 1, l’article 2, l’article 3 et l’article 4.
- Obtenir une preuve de concept expérimental.
- Obtenir un candidat médicament
- Démarrer les essais cliniques
- Obtenir une preuve de concept clinique
- Obtenir l’autorisation de mise sur le marché
- (éventuellement) L’expansion du pipeline
- (éventuellement) l’entrée en bourse
- (éventuellement) La commercialisation
- Le rachat de l’entreprise ou la vente de son candidat médicament
Le management de Future Therapeutics (« FTx ») et ses actionnaires, représentés par son « board of directors » (« board » pour les intimes ou conseil d’administration en bon français), a décidé que la mise sur le marché d’Oncolethal™ était la démonstration de la compétence de l’entreprise. Ils décident donc de retenter l’exploit et d’essayer de mettre de nouveaux médicaments à la disposition des patients.
Nous avons commencé notre histoire directement avec un candidat médicament à notre disposition. Maintenant que nous voulons créer un « pipeline » de candidats médicaments (c’est l’expression consacrée pour la liste des projets en développement), il va falloir réfléchir à poser une stratégie. Il y a en effet beaucoup plus de découvertes scientifiques à exploiter, de pistes à explorer, que d’argent que FTx pourra jamais « lever ». Il va donc falloir faire des choix.
Différentes stratégies possibles
De nombreuses stratégies sont possibles, en fonction des spécificités scientifiques ou technologique de l’entreprise, des expertises disponibles en interne et même des personnalités qui la dirigent. Certains managers sont plus « aventureux », avec des stratégies « high risk – high reward », d’autres préfèrent les possibilités plus modestes mais avec des probabilités de succès plus fortes, certains visent uniquement les gros marchés, d’autres ont plus naturellement des stratégies de niche.
A ce stade, la formation la plus utile c’est celle des écoles de commerce. Il va falloir mettre en place un vrai business plan : quel est le marché (une maladie), sa taille (le nombre de patients), les concurrents en place (les médicaments déjà disponibles et ceux qui vont probablement bientôt être approuvés), les « barrières à l’entrée ». Ces dernières sont les performances des médicaments déjà existants. On détermine quelles caractéristiques doit avoir un nouveau médicament pour remplacer, ou compléter, ceux déjà disponibles. Si on travaille sur les maladies cardiovasculaires, il peut s’agir de faire baisser plus fortement le taux de cholestérol ou bien autant mais avec moins d’effets secondaires.
On va pouvoir utiliser les outils classiques des écoles de commerce comme le « SWOT », un diagramme représentant, pour une entreprise, ses forces (Strengths), ses faiblesses (Weaknesses), ses Opportunités et ses menaces (Threats).
Dans les forces on regardera par exemple : les compétences internes, les technologies propriétaires, les fonds disponibles ou les réseaux de cliniciens partenaires.
Les faiblesses seront en général le négatif (au sens photographique) des forces.
Les opportunités représenteront souvent l’évolution prévisibles du nombre de patients atteints d’une pathologie, potentiellement grâce à la disponibilité de nouveaux outils de diagnostic. D’autres facteurs peuvent pris en compte comme la meilleure disponibilité, ou à moindre coût, d’outils de production ou bien encore des évolutions réglementaires abaissant le niveau de preuve demandé ou prolongeant la période d’exclusivité.
Les menaces regrouperont principalement les concurrents et les évolutions réglementaires défavorables.
On partira soit de technologies ou d’expertises disponibles pour se demander comment les appliquer à de nouveaux médicaments ou, à l’inverse, on regardera les opportunités disponibles et on ira chercher les technologies et/ou les expertises nécessaires pour les poursuivre.
Le Business Development
Avant de travailler directement dans le domaine, je ne me rendais pas compte à quel point le marché de l’achat/revente de technologies ou de candidats médicaments était développé et actif. Il n’existe pas à ma connaissance un équivalent du « Bon Coin », en tout cas rien d’incontournable de ce genre, mais il y a plusieurs éditions chaque année et dans différentes régions du monde de véritables speed-datings du « business development » (c’est le terme consacré pour les activités qui consiste à vendre ou acheter des candidats médicaments ou des technologies). Imaginez-vous un centre des congrès avec une zone d’exhibition commerciale où l’on retrouve tous les plus gros sous-traitants et une zone, gigantesque, où sont installées des rangées et des rangées d’espèce de cabines d’essayage (pour la taille et pour le rideau) qui contiennent une table et 4 chaises. Toutes les 30 min, une sonnerie retentit et vous sortez pour vous diriger vers votre rendez-vous suivant dans une autre cabine d’essayage, et ce de 9h à 18h !
L’édition 2023 de la « BIO International Convention » a par exemple accueilli plus de 20 500 participants, représentant plus de 10 000 entreprises, dont 1900 exposants, pour un total de plus de 57 000 rendez-vous ! Pour y arriver, il y avait plus de 1400 de ces cabines…
Avant la convention proprement dite, les différents inscrits ont renseigné un « profil » qui indique s’ils cherchent des technologies à acheter ou s’ils en ont à vendre. Comme sur « Meetic », les entreprises s’envoient des messages pour juger de l’opportunité de se rencontrer « en vrai ».
Si vous voulez avoir une petite idée, vous pouvez regarder cette vidéo (en anglais).
Disons que FTx a décidé d’aller chercher à l’extérieur des technologies « CAR-T » qui prendrait trop de temps à être développées en interne (sans compter les risques d’échec). L’équipe business development (« BD ») va chercher à entrer en contact avec les entreprises ou les équipes académiques qui ont ce type de technologies, y compris en participant aux événements de speed dating (on dit « partnering »).
Le BD de FTx a identifié une technologie issue d’une université qui semble correspondre aux attentes de l’équipe R&D. Celle-ci va maintenant réaliser un audit des données disponibles (on parle de « due diligence ») et interroger les scientifiques à l’origine de cette innovation. Si la technologie correspond en effet aux attentes de FTx, l’équipe BD va alors négocier avec l’université pour obtenir une licence d’exploitation de cette technologie.
En règle générale, les universités (et autre INSERM, CNRS, Institut Pasteur, etc.) ont une structure qui porte le nom de « Société d’Accélération et de Transfert Technologique » ou SATT (en anglais il s’agit des TTO : Technology Transfer Office). Le but de ces discussions est d’obtenir une « term sheet ». Ce document va rassembler les termes clés d’un futur accord de licence, notamment les compensations financières qui seront reversées à l’université en cas de succès des applications médicales de la technologie.
Une fois la term sheet négociée, il faut la présenter au « board » pour validation, avant de négocier l’accord définitif et complet (un accord de licence peut facilement s’étendre sur 50 pages).
Implication « corporate » de la création du pipeline
« Acheter » une nouvelle technologie n’est qu’un des éléments de votre stratégie. Il faut maintenant regarder les implications en termes de budget (et donc potentiellement de levée de fonds), de recrutement, de taille de laboratoire, de bureaux, etc.
FTx va présenter ce plan stratégique en board (qui trouvera sûrement à redire à tout ou partie de ce plan) pour le convaincre qu’il s’agit d’un plan raisonnable pour « créer de la valeur ».
Conclusion
Félicitations Future Therapeutics s’est maintenant lancée dans la création d’un pipeline. Les enjeux financiers sont trop gros pour les fonds de capital-risque, vous allez donc essayer de rentrer en bourse… dans le prochain post !