Savez-vous pourquoi les biotechs « rentrent en bourse » ? Combien ça coûte ? Qui y gagne (et quand) ?
Cet article y répond, en ajoutant une grande dose de jargon pour vous permettre de briller en société : IPO, premoney, relations investisseurs, département compliance…
Remarque : cet article est le sixième d’une série sur les grandes étapes du développement d’un médicament dans une biotech. Si vous ne les avez pas déjà lus, vous devriez peut-être commencer par l’article 1, l’article 2, l’article 3 et l’article 4 et l’article 5.
Vous pouvez aussi aller directement sur l’article qui couvre le thème qui vous intéresse en cliquant ci-dessous :
- Obtenir une preuve de concept expérimental.
- Obtenir un candidat médicament
- Démarrer les essais cliniques
- Obtenir une preuve de concept clinique
- Obtenir l’autorisation de mise sur le marché
- (éventuellement) L’expansion du pipeline
- (éventuellement) l’entrée en bourse
- (éventuellement) La commercialisation
- Le rachat de l’entreprise ou la vente de son candidat médicament
Dans le post précédent, le management et le board (raccourci de « board of directors » ou « conseil d’administration » en français) ont décidé de poursuivre le développement de l’entreprise et de lancer le développement de nouveaux médicaments. Les investissements nécessaires pour développer cette vision de l’entreprise seront difficile à obtenir avec des VCs qui ne participent généralement pas à des tours de financement supérieurs à 100-150M$. Pour des montants supplémentaires, on se tourne généralement vers la bourse.
Pourquoi « entrer en bourse » ?
Les fonds disponibles pour investir dans des sociétés « cotées » sont considérablement plus importants que ceux qui investissent dans des sociétés « non cotées » (en anglais on dirait entreprises « publiques » (car tout le monde peut y investir et tout le monde a accès aux informations financières concernant ces entreprises) ou « privées », respectivement). En effet, en plus des « VC », on trouve des assureurs, des fonds de pension, des banques, des hedge funds et des investisseurs particuliers. Ce point est à nuancer, concernant les biotechs, car leur business model est tellement particulier que, tant qu’elles ne sont pas rentables grâce à la commercialisation d’un médicament, seuls des investisseurs « spécialistes » investissent dans ce type de société. Ces acteurs peuvent avoir investi leur argent en partie chez des VC mais, dans ce cas, il sera typiquement bloqué pour une période d’une dizaine d’année. A l’inverse, les actions en bourse sont un investissement « liquide » (qu’on peut revendre pour le convertir en « cash » à tout moment), par opposition à des parts d’un fonds VC, et donc plus facile à intégrer dans la gestion de ces sociétés.
Par ailleurs, le fait d’être cotée impose une rigueur particulière pour suivre les règles drastiques quant à la gestion financière et à l’information des investisseurs sur les activités de l’entreprise. Bien qu’il y ait eu des scandales par le passé, on investit ou on prête néanmoins plus facilement de l’argent à une entreprise cotée, grâce à cette garantie perçue en termes de gestion.
De nombreux véhicules d’investissement ou de dette sont accessibles aux sociétés cotées. On pourrait presque dire que la cotation en bourse sert principalement à agrandir la boite à outils des directeurs financiers.
Il y a aussi une question d’image. On acquiert une certaine « respectabilité » et une plus grande visibilité en tant que société cotée. On pourrait avoir la tentation de chercher à entrer en bourse simplement parce que « c’est ce qu’il faut faire » mais les contraintes spécifiques qui viennent avec la cotation doivent être mesurées avec attention. Par exemple : le service financier va devoir étoffer ses équipes pour faire face aux exigences d’audit et de reporting. Les employés de l’entreprise sont soumis à des contraintes vis-à-vis des actions qu’ils possèdent afin de limiter les risques de délit d’initié. Il faut donc créer un département « compliance » pour établir et contrôler l’application de ces règles spécifiques. La nécessité de communiquer les informations à l’ensemble du « public » via des communiqués de presse réguliers implique aussi la création d’un département « relation investisseurs ».
Bref, être cotée coûte cher !
Dans le cadre de Future Therapeutics, les actionnaires et le management ont estimé qu’il s’agissait de la meilleure solution pour assurer le développement de l’entreprise.
Organiser une IPO
Faire son introduction en bourse s’appelle une « IPO » en anglais (prononcez « aïe-pi-haut »), pour Initial Public Offering, c’est-à-dire la première fois qu’on propose au grand public d’investir dans l’entreprise. Dans les grandes lignes, le principe est le même que pour les autres levées de fonds. Il faut présenter le projet de l’entreprise, ses caractéristiques et ses perspectives technologiques, médicales et financières et ses besoins en investissement, à des investisseurs potentiels. Comme précédemment il va falloir déterminer la valeur de l’entreprise pour déterminer le nombre d’actions qui seront proposées à ces nouveaux investisseurs.
Il y a des spécificités néanmoins. Sans rentrer trop dans le détail de l’ingénierie financière, il y a un ordre particulier dans lequel rencontrer les investisseurs lors de tournées qu’on appelle « road show ». En effet, certains, dont l’expertise « biotech » est reconnue, auront un effet d’entrainement sur des investisseurs un peu plus généralistes.
Si jusqu’à présent Future Therapeutics avait pu éviter de travailler avec les banques d’affaires, à ce stade, elles deviennent un acteur incontournable pour organiser l’entrée en bourse. Et ces acteurs sont grassement rémunérés pour leur activité de « book keeping » et d' »underwriting ». En fonction de la taille de l’IPO (la quantité d’argent qu’on veut « lever »), les banques prennent entre 3,5% (pour les plus grosses à IPO) à 7% (pour les plus petites) de frais.
Bien d’autres frais s’appliquent, notamment les frais qu’on paie à la bourse pour y être cotée (listée en bon franglais). Le simulateur du cabinet d’audit PwC indique que pour lever 250 à 500M$, Future Therapeutics devra débourser de 19 à 32M$ !
Une fois l’IPO réussit, la valeur de l’entreprise sera déterminée par la valeur des actions échangées en temps réel par le biais d’une plateforme boursière. Pour les biotech, cette plateforme est typiquement le Nasdaq, une bourse basée à New York. Les actions créées pour correspondre à l’argent apporté par les investisseurs de l’IPO sont maintenant librement échangeables en bourse. A noter que le contrat signé avec les investisseurs impose aux salariés de l’entreprise d’attendre une certaine période (typiquement 6 mois) avant de vendre leurs actions. Une vente des actions des dirigeants immédiatement après l’IPO enverrait, en effet, un mauvais signal aux investisseurs quant à la confiance que le management porte dans le succès de Future Therapeutics.
De nombreux facteurs influencent la valeur de l’action mais, typiquement, si les ventes d’Oncolethal™ sont bonnes et si le pipeline progresse comme attendu, avec notamment des résultats positifs à l’issue des essais cliniques, la valeur des actions devrait monter. A ce stade, les actionnaires initiaux de Future Therapeutics (les VCs, certains employés et les investisseurs de l’IPO) vont pouvoir vendre leurs actions et réaliser un profit.
J’ajoute ici, même si je m’écarte du cœur du sujet, qu’on peut aussi facilement gager des actions auprès d’une banque pour obtenir un prêt. Quand vous entendez que feu Steve Jobs ou Elon Musk ont décidé de ne pas toucher de salaire, vous vous demandez peut-être comment ils peuvent bien faire pour vivre ? La réponse est ici : ils empruntent de l’argent sur la base des actions qu’ils possèdent. La beauté (c’est ironique) du système c’est qu’ils ne paieront pas d’impôts sur ces sommes qui ne sont pas des revenus ! (Ils pourront même parfois déduire les intérêts qu’ils versent à la banque !)
Conclusion
Félicitations ! Future Therapeutics est entrée en bourse avec une valeur « pre-money » de 350M$ et a levé 200M$ pour nourrir ses nouvelles ambitions. L’IPO a été un succès, le cours de bourse est orienté à la hausse, les investisseurs achètent des actions FTX car ils croient au potentiel de votre biotech.
Dans le prochain post, on couvrira la vente d’Oncolethal™ à une « big pharma » puis la vente de Future Therapeutics. La boucle sera bientôt bouclée et vous pourrez lancer une nouvelle biotech pour essayer de traduire des résultats scientifiques en nouveaux médicaments.