Comment vend-on un médicament à une autre entreprise biopharmaceutique ? Et si on vend la biotech tout entière ? Quelles sont les implications, financières, administratives, techniques, etc. ?
Des réponses ici avec, en bonus, un plaidoyer pour qu’on laisse les biotechs se faire racheter car je soutiens que c’est excellent pour l’écosystème de l’innovation.
Remarque : cet article est le septième et dernier d’une série sur les grandes étapes du développement d’un médicament dans une biotech. Si vous ne les avez pas déjà lus, vous devriez peut-être commencer par l’article 1, l’article 2, l’article 3, l’article 4, l’article 5 et l’article 6.
Vous pouvez aussi aller directement sur l’article qui couvre le thème qui vous intéresse en cliquant ci-dessous :
- Obtenir une preuve de concept expérimental.
- Obtenir un candidat médicament
- Démarrer les essais cliniques
- Obtenir une preuve de concept clinique
- Obtenir l’autorisation de mise sur le marché
- (éventuellement) L’expansion du pipeline
- (éventuellement) l’entrée en bourse
- (éventuellement) La commercialisation
- Le rachat de l’entreprise ou la vente de son candidat médicament
Oncolethal™ le médicament que Future Therapeutics a développé est un succès clinique et commercial mais les investissements nécessaires pour le distribuer et le promouvoir efficacement partout dans le monde sont considérables. Future Therapeutics décide de chercher à céder son médicament à une autre entreprise qui aurait déjà une force de vente en place mondialement. L’entreprise va mettre en œuvre les outils de business development (qu’on appelle familièrement « BD » (prononcez « bi-di ») et que nous avons décrits ici) pour trouver ce partenaire.
La prospection
Cette étape correspond à de la vente classique dans les moyens mis en œuvre : on identifie des cibles potentiellement intéressées, on développe un support marketing (ici une présentation powerpoint mélangeant les données obtenus, les processus de fabrication et les études présentant les perspectives commerciales) et on envoie des emails pour prendre des contacts.
La première présentation sera « non confidentielle ». Si le partenaire potentiel est intéressé pour en savoir plus, un contrat de confidentialité sera signé. Il s’en suivra une discussion confidentielle avec les experts des différents domaines pertinents (affaires médicales, affaires réglementaires, affaires commerciales et fabrication par exemple). Si l’intérêt existe toujours, l’entreprise acheteuse fera parvenir à Future Therapeutics une offre non contraignante (NBO ou non binding offer, en anglais) qui servira de bases aux négociations entre les équipes « BD ». Ces discussions porteront tant sur les montants à payer que sur la structure du deal (quels paiements à quels moments, quelles primes d’atteintes de jalons, royalties et bien d’autres joyeusetés dont on n’a pas idée tant qu’on n’a pas mis le nez dans un contrat de ce type).
La due diligence et la data room
En parallèle, les équipes « techniques » lanceront un audit des différents aspects du médicaments mis en vente. On parle de « due diligence ». Cela impliquera les mêmes équipes que précédemment ainsi que des équipes juridiques et financières qui passeront en revue les différents documents disponibles. Pour donner un ordre d’idée l’entreprise acheteuse missionnera des dizaines (jusqu’à une centaine) d’employés pour cet audit qui s’étendra sur plusieurs semaines. Un « deal », entre le premier contact et la signature définitive prend généralement entre 3 et 6 mois.
Les documents qui sont passés en revue sont stockés dans une « virtual data room » (j’ai trouvé la traduction « salle des données » sur internet mais je n’ai jamais entendu personne l’utiliser). C’est un espace de type « cloud » qui permet de gérer très finement les autorisations d’accès. On paramètre par exemple qui a accès à quels dossiers mais aussi si les utilisateurs ont le droit de télécharger les documents ou simplement de les visualiser. On rajoute des filigranes « confidentiel » sur toutes les pages. L’entreprise vendeuse est en position de fragilité à cette étape. Elle donne accès à toutes ses données à un de ses concurrents, sans garantie que la transaction ira à son terme.
Pour la petite histoire, il faut imaginer qu’avant qu’elles soient « virtual », il s’agissait de salles physiques, souvent hébergées par le cabinet d’avocat représentant l’entreprise vendeuse, dans laquelle les équipes disposaient les milliers de pages de documents qu’ils avaient préalablement imprimées. Le coût d’un tel audit pour imprimer les documents, déplacer, possiblement depuis l’autre côté du globe, et héberger les équipes acheteuses venant examiner les documents laisse songeur… J’ai lu que dans certains cas (dans le secteur de la Défense notamment), ce processus d’audit « physique » avait toujours cours.
Négociation et conclusion de la transaction
Les négociations se poursuivent en parallèle de l’audit. En plus des équipes BD, elles vont impliquer le CEO de Future Therapeutics et son conseil d’administration. Une fois qu’un accord acceptable pour les deux parties est atteint, le contrat de session pour être signé.
Il s’avère qu’au cours des discussions, l’acheteur d’Oncolethal™ fait une proposition pour racheter l’ensemble de Future Therapeutics et ainsi bénéficier de son portefeuille de brevets et de ses futurs médicaments. Le conseil d’administration y voit l’opportunité de retourner l’argent aux investisseurs de l’entreprise et donne un avis favorable.
Petit point vocabulaire : ces activités de « fusion-acquisition » s’appellent « M&A » pour merger and acquisition en anglais. Si vous entendez un jour quelqu’un dire, « nous avons reçu une proposition de M&A » (prononcez « èmènè »), vous saurez ce qu’il veut dire :-).
Fécilitations ! Oncolethal™ est maintenant propriété d’un laboratoire pharmaceutique de taille mondiale qui va pouvoir le distribuer à tous les patients qui peuvent en bénéficier. Les actionnaires de l’entreprise, dont font partie la plupart des salariés de l’entreprise, vont recevoir un paiement en cash et/ou en actions de l’entreprise acheteuse, suivant ce qui a été négocié.
Transfert du produit
Les choses ne sont pas totalement terminées néanmoins car il faut opérer le transfert du produit, du point de vue technologique mais aussi administratif.
L’acheteur a décidé que la fabrication d’Oncolethal™ devra maintenant être réalisée par les usines de l’acheteur et il y aura une phase dite de « transfert » qui va durer de plusieurs mois à un an. Les équipes de Future Therapeutics vont, pour faire simple, expliquer comment fabriquer Oncolethal™.
Il va falloir aussi remplir des tonnes de papier pour enregistrer le changement de propriétaire auprès des autorités sanitaires de tous les pays où Oncolethal™ est disponible, démontrer que le changement d’usine n’a pas d’impact sur les caractéristiques du médicament, organiser le changement d’emballage, etc. etc.
Conclusion
Une fois le transfert technologique et administratif complété, l’entreprise acheteuse va selon toutes probabilités liquider ce qui reste de Future Therapeutics. Les gros laboratoires pharmaceutiques essaient depuis des années de se recentrer sur quelques centres de recherche et de fermer les multiples structures héritées de leur histoire (tous les gros laboratoires sont issus de multiples opérations de rachat/fusion), notamment pour contenir leurs coûts.
Certains employés de Future Therapeutics se verront proposer des postes au sein de la société mère, les autres seront probablement licenciés.
On entend régulièrement la presse s’émouvoir de ce type de « fin » pour des entreprises de biotechnologie. Le rachat est présenté comme une espèce de défaite, une issue par défaut, faute de succès de la société par elle-même. Si la laboratoire acheteur est en plus une entreprise étrangère, on a aussi les questions de « souveraineté » nationale qui entrent en jeu. Sur ce dernier point, je ne pense pas que ce soit un argument très important quand il s’agit de brevet portant sur des médicaments. Je serai probablement plus nuancé s’agissant de technologie de production de biomédicaments. Si on parle d’autres types de technologies (armement, IA…), en dehors du médical, cela me parait très raisonnable de se poser ces questions mais ce n’est pas le sujet de ce blog.
Mon opinion sur ce sujet est que, pour des entreprises développant des médicaments (à l’exclusion, donc, des technologies de production de ces médicaments), le rachat est le meilleur des destins possibles pour l’ensemble de l’écosystème de l’innovation médicale.
Les investisseurs vont récupérer le capital investit avec un profit qui encouragera à continuer à investir dans l’innovation médicale.
L’exemple de Future Therapeutics pourra servir d’inspirations à se lancer dans l’entreprenariat pour de nouveaux scientifiques.
Ces nouvelles startups trouveront dans les anciens employés de Future Therapeutics les managers de leurs futures équipes, etc. etc.
Les rachats de startups alimentent un cercle vertueux qui peut donner lieu à la création d’un « cluster » d’innovations biomédicales comment peuvent l’être Boston ou la Bay Area de Californie.
Ma conclusion sera donc : laissez les startups médicales être rachetées, c’est le mieux qui puisse arriver pour stimuler la création d’un écosystème d’innovations médicales !