Comment passe-t-on d’une autorisation de mise sur le marché à une prescription effective par des médecins ? Quid de la question du remboursement en Europe et aux USA ? Cet article présente ces différents aspects et discute aussi des problématiques de conflit d’intérêt qui accompagne parfois le lancement et la promotion d’un nouveau médicament.
Remarque : cet article est le quatrième d’une série sur les grandes étapes du développement d’un médicament dans une biotech. Si vous ne les avez pas déjà lus, vous devriez peut-être commencer par l’article 1, l’article 2 et l’article 3.
Rappelons les grandes étapes que vous avons définies précédemment :
- Obtenir une preuve de concept expérimental.
- Obtenir un candidat médicament
- Démarrer les essais cliniques
- Obtenir une preuve de concept clinique
- Obtenir l’autorisation de mise sur le marché
- (éventuellement) L’expansion du pipeline
- (éventuellement) l’entrée en bourse
- (éventuellement) La commercialisation
- Le rachat de l’entreprise ou la vente de son candidat médicament
Nous allons aujourd’hui aborder le thème de la commercialisation, en disant un mot des prix de ventes, du remboursement et de la vigilance à avoir sur les éventuels conflits d’intérêt entre médecins et industriels.
Commercialisation – Remboursement
Félicitations ! Future Therapeutics est maintenant sur le point de devenir une « commercial-stage biotech » ! Son produit FT-001 s’appelle maintenant Oncolethal™ et sa prescription est autorisée pour le traitement de certains cancers du rein.
Suivant les pays, les conditions pour cette commercialisation seront différentes.
En Europe, on peut choisir de déposer son dossier dans un seul pays, si c’est uniquement là qu’on entend le commercialiser. Si on a l’intention de le vendre partout dans l’UE, on peut bénéficier d’une procédure dite « centralisée » dans laquelle l’autorisation sera donnée au niveau de l’UE toute entière (mais dans les faits, il y a encore des procédures d’enregistrement à effectuer au niveau de chaque pays). Il faut ensuite, pays par pays, suivant des règles différentes, demander le remboursement du médicament et négocier le prix de vente, sur la base d’études économiques. Il faut en effet démontrer l’impact d’Oncolethal™ en terme de diminution des coûts pour le système de santé. Si on arrive à prouver que les coûts d’hospitalisations vont diminuer où simplement que les patients pourront vivre plus longtemps et donc continuer de contribuer à la société, on peut justifier l’impact positif de la vente de son produit.
C’est un processus qui peut repousser la mise à disposition effective du médicaments de plusieurs mois. Dans les faits, les industriels se concentrent en priorité sur les plus gros marchés dans l’UE que sont la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne (et le Royaume Uni, bien qu’il soit hors de la responsabilité de l’EMA depuis le Brexit).
Aux Etats-Unis, une fois l’autorisation obtenue, les industriels doivent chercher à faire rembourser leurs produits auprès des différents assureurs privés qui couvrent les frais médicaux. Le système en place là-bas à tendance à encourager des prix particulièrement élevés, avec des intermédiaires (les PBM ou Pharmacy Benefits Managers) censés aider les assureurs à choisir quels produits rembourser et à en négocier les prix mais qui sont en fait de plus en plus co-responsables d’une tendance inquiétante à l’inflation des prix des médicaments innovants. Ces prix, dépassant parfois plusieurs centaines de milliers de dollars par an pour un traitement, engendrent des difficultés majeurs d’accès aux traitements avec des conséquences pour les patients qui peuvent être à la fois médicales et financières. Le pendant positif étant que les Etats-Unis (pour les patients qui ont accès à une assurance médicale) bénéficient les premiers des innovations médicales et que ce système encourage les investisseurs à financer ces innovations, le retour financier pouvant être majeur.
La vente
FTx doit maintenant constituer des équipes de vente et de marketing qui iront présenter Oncolethal™ aux médecins pour leur détailler les caractéristiques du produit et les conditions dans lesquelles il peut être prescrit et administré.
Cette étape de commercialisation est la phase la plus sujette aux scandales : la nécessité de générer des ventes conduisant parfois à l’utilisation de techniques de promotion illégales ou à l’incitation à prescrire le produit dans des circonstances médicales où la démonstration scientifique n’a pas (encore) été faite. La promotion médicale a beaucoup évolué ces 40 dernières années, en réaction aux scandales qui ont éclatés, et l’époque des séminaires médicaux tous frais payés, familles incluses, aux Seychelles est globalement révolue.
Il reste d’autres activités pour lesquels les entreprises pharmaceutiques rémunèrent des médecins, entrainant des soupçons de collusion de la part du grand public.
Les médecins et l’industrie pharmaceutique : une interdépendance source de conflits d’intérêts
Lorsqu’une biotech ou un laboratoire pharmaceutique réfléchit à la conception et au développement d’un candidat médicament, elle fait un certain nombre d’hypothèses sur la façon dont les médecins utilisent les médicaments disponibles, sur les outils de diagnostic pour détecter et suivre ces maladies et sur les caractéristiques que devraient avoir un médicament pour avoir une chance raisonnable d’être largement prescrit par les médecins.
Pour vérifier ces hypothèses, les industriels vont demander conseil à des médecins qui en retour, en général, factureront le temps passé à leur répondre. De la même manière, les industriels vont généralement constituer des conseils scientifiques faisant appel à des personnalités externes à l’entreprise pour donner des avis sur le design ou la conduite de leurs essais cliniques. Certains médecins font donc « officiellement » parti de ces conseils scientifiques pour lesquels, a minima, leurs frais sont remboursés et parfois (suivant ce que la réglementation locale permet) ils obtiennent des stock-options.
Les industriels ont aussi besoin que des médecins acceptent de participer à leurs essais cliniques et qu’ils proposent donc à leurs patients de tester ces nouveaux traitements. Ils doivent donc entretenir de bonnes relations avec les médecins des centres de pointe dans les pathologies concernées.
Certains de ces médecins, de part les services qu’ils dirigent et les publications dont ils sont les auteurs, sont qualifiés de leaders d’opinion (en anglais on parle de « Key Opinion Leader » ou KOL). Ce sont des individus qui sont reconnus par leurs pairs comme étant les experts de telle ou telle pathologie. Leur avis sur l’intérêt d’un traitement a donc une portée particulière au sein de la communauté des médecins, les futurs prescripteurs du médicament…
C’est une situation gagnant-gagnant car les industriels ont besoin des conseils et du prestige de ces médecins mais ces médecins ont en partie acquis leur prestige et leur expertise en participant à des essais cliniques, ils ont donc « besoin » des relations avec les industriels.
Les industriels vont donc défrayer les médecins qui ont conduit leurs essais cliniques pour qu’ils en présentent les résultats dans des congrès médicaux.
Ces situations ne sont pas nécessairement des situations de corruption. Les conseils des médecins sont légitimes pour aider à concevoir les meilleurs essais cliniques et au final les meilleurs traitements possibles. Il est légitime que leurs frais soient pris en charge lorsqu’ils présentent les essais qu’ils ont conduits, de la même manière qu’il est légitime que l’entreprise ait son mot à dire sur la façon dont sont présentés les résultats.
Il n’en demeure pas moins que ces situations de collaborations entre les industriels et les médecins, pour indispensables qu’elles soient, représentent des situations de conflit d’intérêts.
Conclusion :
N’oublions pas néanmoins que ces traitements innovants ont des impacts importants sur la vie des patients. Il ne s’agit pas d’avoir une batterie qui dure plus longtemps sur son smartphone ou qu’il prenne de plus beau selfie. On parle de produits qui peuvent révolutionner la vie des malades.
Pour vous en convaincre, lisez cet article de Slate sur les effets du Kaftrio sur de patients atteints de la mucoviscidose.
Soyons vigilants sur les dérives potentielles mais restons optimistes !