Comment sont évalués les candidats médicaments pour savoir s’ils sont sûrs et efficaces (et s’ils seront un jour remboursés par la sécu !) ? Après avoir lu cet article, vous comprendrez mieux ce qui est demandé pour avoir le droit de tester un produit chez l’Homme, sur ce qu’on mesure dans ces tests ainsi que les sommes en jeux.
Si dans le premier article de cette série ce que nous avons décrit pourrait correspondre à la conception et l’accouchement d’un candidat médicament, alors et article présente son enfance – la phase « préclinique » – et sa préadolescence, c’est-à-dire le début des phases de test chez l’Homme, autrement appelés les essais « cliniques ».
Remarque : cet article est le deuxième d’une série sur les grandes étapes du développement d’un médicament dans une biotech. Si vous ne l’avez pas déjà lu, vous devriez peut-être commencer par l’article 1.
Rappelons les grandes étapes que vous avons définies :
- Obtenir une preuve de concept expérimental.
- Obtenir un candidat médicament
- Démarrer les essais cliniques
- Obtenir une preuve de concept clinique
- Obtenir l’autorisation de mise sur le marché
- (éventuellement) L’expansion du pipeline
- (éventuellement) l’entrée en bourse
- (éventuellement) La commercialisation
- Le rachat de l’entreprise ou la vente de son candidat médicament
Nous avons présenté les étapes 1 et 2 dans le précédent article. Ici nous nous concentrerons sur le point 3 : le démarrage des essais chez l’Homme.
Obtenir l’autorisation de réaliser des essais cliniques.
Une fois la molécule exacte définie et validée, il faut réaliser un certain nombre de démonstrations précliniques et industrielles afin de constituer le « dossier » du candidat médicament qui va servir de base à la demande d’autorisation d’essais cliniques (et plus tard à la demande d’autorisation de mise sur le marché). Le terme officiel anglais pour ce dossier est « IMPD » pour Investigational Medicinal Product Dossier.
Dans les grandes lignes, on réalise un certain nombre d’expériences de toxicologies, sur des modèles animaux, pour évaluer l’innocuité du candidat et identifier une dose sûre pour démarrer les essais cliniques (sur l’Homme donc). On ajoute au dossier les expériences qui montrent l’efficacité du candidat sur des modèles animaux de la pathologie qu’on cherche à traiter. Enfin, et peut-être surtout, car les problèmes viennent souvent de cette partie, on documente et on démontre comment on va fabriquer et contrôler son produit d’une manière reproductible et qui garantit l’absence de risque pour le patient (pas de risque de contamination microbienne par exemple). La fabrication de produits de biotechnologie représentent une plus grande complexité sur ces sujets que la synthèse de petites molécules.
S’il était possible de « bricoler » jusque-là, il y a dorénavant des règles du jeu très strictes à respecter, on entre dans la phase « réglementaire ». Le dossier sera transmis aux autorités sanitaires (l’EMA ou European Medicine Agency en Europe, l’ANSM ou Agence National de Sécurité du Médicament en France) pour demander l’autorisation de procéder à des essais sur l’Homme. Toute erreur ou approximation pourrait entrainer un refus de fournir l’autorisation, impliquant dans le meilleur des cas un délai et des coûts supplémentaires voire la fin de la startup… Bref, il est indispensable à ce stade d’avoir des professionnels du développement pharmaceutique qui savent ce qu’ils font. On va recruter des personnes qui ont une expérience dans des biotechs ou bien qui viennent de big pharmas. On s’entoure aussi d’un aréopage de consultants en tous genres pour essayer de minimiser les risques.
Pour les produits de biotechnologie, la montée en échelle de la production pour préparer le lot qui sera utilisé dans les premiers essais cliniques et la démonstration de l’industrialisation au stade BPF « Bonne Pratique de Fabrication » (ou GMP en anglais pour Good Manufacturing Practice) peut être particulièrement coûteuse. Pour les anticorps-conjugués (une molécule qui combine un anticorps et une petite molécule chimique), arriver aux portes de l’essai clinique va par exemple coûter autour de 20 millions d’euros.
Le stade clinique
Après avoir obtenu le graal des jeunes biotechs : l’autorisation de procéder à un essai clinique, l’entreprise quitte l’école élémentaire des biotechs et rentre dans le secondaire. En anglais, les entreprises se présentent généralement comme ça : « X is a clinical-stage biotech company ».
Son IND en poche (Investigational New Drug : le nom donné par la FDA à l’autorisation d’essai clinique. En Europe on parle de CTA : Clinical Trial Application), la biotech va démarrer son essai clinique. Pour se faire, elle va généralement avoir en interne une petite équipe « clinique » composé d’un directeur médical et d’un chargé d’essais cliniques. Ces personnes auront défini au préalable un « design » clinique, c’est-à-dire défini le nombre de patients nécessaires pour atteindre une validité statistique, les critères médicaux pour les inclure ou non dans l’étude, les doses de médicaments qui seront testés et les « centres » investigateurs. Ces « centres » sont les hôpitaux qui recruteront les patients et administreront le candidat médicament.
La biotech va recruter une « CRO » (Contract Research Organization), un sous-traitant qui va gérer certaines parties de l’essai (rédaction des brochures investigateurs et patients présentant l’essai clinique dans les moindres détails, « surveillance » des centres investigateurs, recueil des données, analyses statistiques, etc.).
En oncologie, si on n’inclue pas les coûts liés à la production du médicament, normalement imputés à la phase précédente, ces essais dits de Phase I portent souvent sur quelques dizaines de patients, typiquement moins de 100. Le coût d’un tel essai clinique peut varier considérablement d’une maladie à l’autre mais on sera en général de l’ordre de 5 à 10 millions d’euros.
Si cette première phase qui dure typiquement 18 à 24 mois est un succès, ce qui veut dire que le produit est toléré aux doses susceptibles d’avoir un effet thérapeutique, voire qu’on a vu les premiers signes d’efficacités, dans le cas particulier de l’oncologie, alors l’entreprise va chercher à démarrer un essai de Phase II pour démontrer l’efficacité thérapeutique sur une petit nombre de patients (typiquement quelques dizaines à quelques centaines). On parle d’obtenir une « preuve de concept clinique ».
La biotech peut aussi décider de s’arrêter là et de vendre (licencier) son médicament à une autre entreprise ou de se vendre tout entière.
Dans tous les cas, il faudra attendre le prochain article pour en savoir plus !
Merci de m’avoir lu et à bientôt :-).